Faites des Mères

La fête des mères, récemment célébrée, est la fête la plus ambivalente qui soit. Pour des raisons historiques évidentes, mais aussi parce ce qu’on a chargé ce mot de bien des maux.
Quel vocable étrange ! Combien il a souffert, combien il a fait souffrir ! Il a été annexé par la morale, colonisé par le pouvoir masculin. On nous a fait croire qu’il était la seule déclinaison du mot « femme ».

Dans mon cas, le mot « mère » a éclot par-delà l’accouchement, il m’a emportée dans un tourbillon que j’ai peint sur des toiles rondes comme mon ventre de femme.
Au premier enfant, j’apprenais l’amour sans condition, et qu’on ne fait pas pipi face au vent quand on a un pénis, si petit soit-il.
Au deuxième enfant, je découvrais l’expression « le choix du roi », qui faisait de ma nouvelle née un lot de consolation passablement honorable.

Je comprenais surtout que mon amour maternel ne se divisait pas, mais se multipliait. Je n’étais pas au bout de mes surprises en matière de multiplication.
A 3 ans, mon aîné rencontra l’ami de sa vie, qui me choisit à son tour comme mère. Deuxième mère. Il en avait une, excellente, qui avait fait ses preuves et continue à les faire aujourd’hui, mais il me choisit tout de même pour mère. J’agrandissais simplement l’embrase de mes bras.

Ces deux petits se firent frères.  Ils accueillirent ensemble leur désormais petite sœur.

Puis, à 16 ans, mon aîné rencontra son deuxième ami de vie, qui me choisit à son tour pour mère. Deuxième mère, il avait et a toujours père et mère. A son récent mariage, les seuls adultes invités furent les parents : ceux de son épouse, les siens propres et ses parents adoptés.

Au jour d’aujourd’hui, quatre jeunes personnes m’ont faite mère, je suis Ma P’tite maman, Ma Maman, Mommy et Madre. Chacun et chacune m’a donné le nom choisi par ses soins.

Quelles qu’en soient les circonstances, la fête des mères nous interroge sur nous-même. Cette année, j’ai reçu un message d’une amie qui m’écrivait « Je souhaite une bonne fête à la mère que tu es. »
Sa mère est décédée il y a 4 ans et elle-même n’a pas d’enfants. Elle a éprouvé le besoin de fêter UNE mère. Peut-être même simplement de prononcer le mot.

Ce vocable porte filles, fils, il crée les sœurs et les frères. Il pose des questions à toute la famille. Il fait famille. Mes quatre enfants ont rempli le mot « mère » de ce dont ils avaient besoin. Il n’y a pas eu d’obligation morale dans ce processus. Personne n’a jugé personne, ils ont demandé sans mot, j’ai accepté sans mot.
Ce qui s’est passé dans ma famille montgolfière a échappé à la chape de plomb patriarcale.

Si tout ne se résout pas dans la famille, beaucoup de choses s’y nouent. Féminité, maternité et sororité m’interrogent depuis toujours, elles ont donné naissance à la pièce de théâtre Détartrage.
Deux femmes et un homme patientent dans une salle d’attente. Le grand détartrage ne se limitera pas à leurs dents.

Trois personnages, un lieu unique, 1 heure 20 qui cherchent la metteuse en scène ou le metteur en scène qui leur donnera vie.

Ne vois-tu rien venir ?

La tirade de la mort d’Ophélie m’a longtemps fascinée. Étudiante, je la lisais et la relisais dans le texte, tout à la fois cherchant à comprendre et espérant avoir mal compris.

Plus tard, je la peignais les pieds au bord de son précipice d’eau vivante de plumes et de fleurs, mon genre de profusion. Si elle était encore à sauver, je le serai aussi, et toutes les femmes avec moi.

Sur une deuxième toile, j’ai représenté le moment de son ultime bascule. En vérité, je n’ai su en faire qu’un plongeon de sirène dans un courant de paillettes, je n’ai pu me résoudre à en figurer la fin boueuse. Comme si je figeais sa chute pour ne pas tomber avec elle.

Et puis on m’a raconté une histoire de village, un drame d’injustice comme ces petites communautés cruelles savent si bien en concocter. Celle de la femme du gentil berger, que la calomnie a livrée aux flots de la rivière, la pauvrette n’ayant pu se laver de la méchanceté qu’en s’y noyant ainsi que ses deux petites.
Si le Barde laisse planer le doute sur la nature de la noyade d’Ophélie, ce ne fut pas le cas pour les sacrifiées du village. Aucun doute, pas de romantisme, rien de symbolique. Elles s’appelaient Alphonsine, Viviane et Véronique. C’était il y a 50 ans, c’était il y a mille ans. C’était aujourd’hui.
C’est à ce moment-là que j’ai compris Ophélie, la jeune femme qui paye la facture pour tous les autres.

Beaucoup payent encore, que l’on ne taxe plus d’hystérie ou de lunatisme, mais qui engraissent le funeste décompte des féminicides annuels. D’autres échappent à cette comptabilité, celles qui en finissent elles-mêmes.

Je viens de terminer l’écriture d’une histoire courte, banale et sans pudeur : une femme fait une rencontre amoureuse qui la mène à une rivière de rails. Il y a de multiples façons de se noyer.
J’ai déroulé le fil de cette histoire jusqu’à sa logique finale, j’ai enfin cessé de retenir Ophélie dans un halo de fleurs et autres plumes de fausse légèreté.
Nous sommes nombreuses à avoir fait une rencontre amoureuse qui aurait pu se terminer mal pour nous. Cela m’est arrivé aussi. J’ai eu la chance d’en réchapper.
Parfois on ne voit rien venir. Parfois on ne veut rien voir venir.
Ce récit s’intitule Anne, ma sœur Anne.


QUEEN GERTRUDE
There is a willow grows askant the brook
That shows his hoary leaves in the glassy stream.
Therewith fantastic garlands did she make
Of crow-flowers, nettles, daisies, and long purples,
That liberal shepherds give a grosser name,
But our cold maids do dead men’s fingers call them.
There on the pendent boughs her crownet weeds
Clamb’ring to hang, an envious sliver broke,
When down her weedy trophies and herself
Fell in the weeping brook. Her clothes spread wide,
And mermaid-like awhile they bore her up;
Which time she chanted snatches of old lauds,
As one incapable of her own distress,
Or like a creature native and endued
Unto that element. But long it could not be
Till that her garments, heavy with their drink,
Pull’d the poor wretch from her melodious lay
To muddy death.

Faire-part de naissance.

La librairie A la ligne est née !
Elle est arrivée le 20 mai 2021, elle pèse 80 000 ouvrages et mesure 80m2.
Mathilde Bonizec et Dominique Bernadé sont les parents les plus heureux du monde,
son parrain Joseph Ponthus Le Gurun veille sur elle.

Pour être sa bonne fée, venez au 11 rue Nayel ou place Paul-Bert, à Lorient !

L’ouverture d’une librairie indépendante est toujours une immense joie,
on s’y rend avec l’empressement respectueux des premières fois,
Un peu sur la pointe des pieds.
On pousse la porte avec respect, mais à l’intérieur, on est excité comme devant une nouvelle bonbonnière.
Une librairie indépendante, c’est le contraire d’une maison témoin,
ça a un cœur qui bat, celui du ou de la libraire qui nous y invite.

Quand je rentre dans une librairie que je ne connais pas encore, mon appétit est plus que neuf, il est renouvelé,
j’ai la certitude que je vais trouver des ouvrages qu’il n’y a nulle part ailleurs.
C’est un espace étrange, mais jamais étranger.
Il en est de même pour les librairies qui furent mais ne sont plus. Elles demeurent dans nos esprits, espaces revenants et pages spectres qui ne peuvent pas mourir.

Ma librairie fantôme est celle qui nichait au pied de la cathédrale de Clermont-Ferrand en haut de la rue des Gras, perspective de lave reliant la flèche de la cathédrale à la celle du sommet du Puy-De-Dôme.
La librairie Rome.
Une petite librairie avec un grand cœur.
Je m’y rends quand je voyage en aventures étudiantes passées. Elle n’a jamais fermé que dans la réalité. Autant dire qu’elle existe maintenant plus sûrement que jamais.
Jean Rome était déjà hors du temps, pourquoi le serait-il maintenant moins ou davantage qu’avant ?
Graine d’ananar, très cultivé, libre d’esprit, c’était un passeur, un éveilleur.
Quand on entrait dans sa boutique, il levait le nez de son livre, il nous reconnaissait sans rien dire, on se mettait à farfouiller et tout à coup on entendait : « J’ai quelque chose pour vous. »
On repartait avec le recueil qu’on espérait sans le savoir.
Il était doux mais il m’impressionnait beaucoup.

Joseph Ponthus Le Gurun aussi, était doux et m’a impressionnée.
Un géant touchant de fraternité et de courage, comme son « livre qui est à Krystel et lui doit tout ».
Il a eu l’élégance et la générosité de nous parler de ceux que personne ne veut plus voir, et auxquels il dédie son écrit.

« Aux prolétaires de tous les pays
aux illettrés et aux sans dents
avec lesquels j’ai tant appris ri souffert et travaillé. »

J’aurais aimé que mon grand-père lise cet ouvrage, il y aurait reconnu un frère de labeur et de conscience politique, lui qui était mineur de fond.
Joseph n’est pas un bourgeois qui écrit sur les ouvriers.

« Il y a Pontus de Tyard qui est mon ancêtre et dont
Deux vers s’accordent si bien avec ces feuillets
D’usine
« Qu’incessamment en toute humilité
Ma langue honore et mon esprit contemple. »
»

Son livre A la ligne est devenu librairie.

« Il y a qu’il n’y aura jamais
De
Point final
A la ligne. »