Samedi 18 mars, Invités par Catherine Belkhodja, actrice-artiste et auteure, à célébrer le Printemps des Poètes à la Galerie Schwab, Patrick Bouchitey, camarades poétesses, haïkistes et moi-même disons « La frontière ».
Chaleureusement accueillis par Thierry et Edouard Schwab, 35, rue Quincampoix, 75004 Paris
Voici le poème que j’ai écrit à cette occasion :
LA FRONTIERE (Anne Vassivière)
Il est un lieu immense et minuscule/ de toute frontière/ frontière toute et voiles dehors/ qui me contient entière/ au complet/ moi toute
Et toi aussi
Que je le veuille ou non, je suis dedans, il me rassemble/ me le fait sentir dans le froid, sous le vent /se fait mordre et caresser pour moi/ ensemble/ simultanément/ de bonne ou de mauvaise grâce depuis 56 ans
Me rappelle à moi-même/ me garde de la dispersion/ du mieux possible/ fait barrage/ fait le maximum/ fidèlement/ un lieu fidèle et têtu/ jusqu’à quand…personne ne sait
Et toi non plus
Le lieu est au féminin mais rassemble aussi les hommes/ universel / sans jugement de qui de quoi respire dedans/ qui sait la tristesse du soir parfois et la garde discrète/ n’envahit pas autrui des remous qui tanguent son intérieur/ de grande politesse à la vie
Elle et moi/ elle sur moi/ moi dans elle
En pleine lune ou au bord de l’eau, elle cicatrise les fêlures qu’elle me couve le jour
Et les tiennes aussi
Au petit matin d’une nuit de veille enjouée, on flotte dedans/ au petit matin d’une nuit de veille tourmentée on flotte dedans/ lieu de tous les flottements /de tous les frottements
Toujours faire bonne figure, elle tente ce pari/ le perd, bien sûr/ autant que nous/ la première/ perd le pari en premier…même au petit nid du coude
C’est la grande plissée de la fuite du temps/ la belle abandonnée/ notre âge n’est pas une collection qu’elle entache de honte
J’espère que toi non plus
Ovale du visage/ première défaite de la frontière/ lèvres/ cou / amande des yeux/ paupières/ dessous des bras/ comme tomber en une seule nuit/ seins/ ventre/ dos/ fesses/ cuisses/ mollets/ les abandons ne partent plus, ils restent sur place avec leur petit air buté
Viens, toute frontière est faite pour être passée,
Viens, c’est le lieu de l’échange par excellence/ touchons-nous en excellence
Viens, je vais te montrer comme elle nous sépare et nous lie à merveille… La peau.
Je n’ai ni honte ni vanité à dire le corps, j’aime simplement écouter ce qu’il raconte de nous. Je ne recherche pas l’indécence, mais l’incandescence ! En librairie le 13 octobre 2022.
INDÉCENTES : Dédicaces le 20 septembre 2022 à la Musardine de 18 h à 20 h.
J’ai fêté la journée du patrimoine, rue de Paradis. Point de pierre, la célébration était humaine : celle des 95 ans du destin extraordinaire de l’ami Gabriel Garran (03/05/1927- 06/05/2022).
Juif Ashkénaze, progressiste de gauche, fondateur du Festival d’Aubervilliers, fondateur du Théâtre de la Commune, directeur du Théâtre International de Langue Française, infatigable promoteur du multi culturalisme, porteur et acteur d’une vision cosmopolite du théâtre à laquelle il a consacré 70 ans de sa vie, Gaby a fait de son existence un chemin en tout point remarquable.
L’hommage avait lieu au siège de l’A.C.C.E. (Amis de la Commission Centrale de l’Enfance), organisation juive, laïque et progressiste au sein de laquelle Gabriel fut moniteur pour les enfants rescapés comme lui des années de guerre et de génocide. Dans l’assemblée, des amis et amies, d’anciens colons et cadets dont il avait été l’animateur dans les colonies de l’A.C.C.E., évoquèrent avec reconnaissance et émotion l’incroyable aventure pédagogique et humaine partagée avec Gaby et ses camarades animateurs : Albert Erner, Jean-Jacques Hocquard, Michel Sztulzaft, George Serre, Guy Konopnicki. Mais aussi Daniel Darès, grand ami de Gaby depuis le plus jeune âge, compagnon de théâtre et premier président de l’A.C.C.E., surnommé l’anglais et devenu directeur du Théâtre Antoine. Et bien sûr, Véra Belmont, l’amie à vie, enfant de la guerre, cachée, ayant grandi Faubourg Saint-Antoine et devenue productrice et réalisatrice de cinéma. Elle-même fruit de l’éducation populaire. Chez qui Gaby alla passer quelques jours dans sa dernière année, sans prévenir personne, laissant ses proches dans l’angoisse de savoir où diable il avait bien pu passer. Véra, qui, très âgée, n’avait pas pu se déplacer pour l’hommage de la Rue de Paradis, participait grâce à un enregistrement.
Mais reprenons l’histoire de Gaby à son début…
Fils d’immigrés polonais, Gabriel Garran, né Gersztenkorn, avait un père tricoteur à façon arrivé à Paris dans les années 20. Il avait alors fallu louer un atelier, acheter des machines, puis s’en remettre aux donneurs d’ordres. Gaby a passé ses jeunes années Rue de la mare, entouré de bobines. Son père ne lisait pas le français, sa mère ne le parlait pas. Le polonais était la langue du foyer et Gaby disait à ses parents « Ils parlent une langue étrangère, dehors. » Les parents de Gaby se connaissaient et s’aimaient depuis l’âge de 10 ans, l’enfant eut une enfance choyée.
A 5 ans ½, le petit Gabriel est renversé par une voiture, on le retire miraculeusement indemne de dessous les roues, il hurle « Je ne veux pas aller au cimetière !» Il sera exaucé jusqu’à sa 95ème année…
Lorsqu’il a eu son deuxième accident, à l’âge adulte, son ami Darès venu lui rendre visite à l’hôpital lui rappelle la citation d’un auteur irlandais : « Accroche ta charrue aux étoiles. », ce qu’il s’est toujours appliqué à faire.
De Belleville/ Ménilmontant, la famille déménage dans le Marais, rue François Miron. Gaby a 9 ans et il vit désormais près de la bibliothèque du 4ème arrondissement…qui devient son domicile bis. Il est ébloui, il y plonge jusqu’au vertige. « A presque en devenir autiste » dit-il lui-même. Puis, vient le traumatisme de la guerre. Il n’oubliera jamais le choc de voir le drapeau nazi sur la façade de l’Hôtel de Ville, juste à côté de chez lui. Il a 12 ans et c’est un effondrement. Son père est raflé un an plus tard, parmi les premières victimes de la folie nazie. Commence pour Gaby une longue période d’itinérance, il ne retournera jamais plus à l’école.
A la Libération, il a pratiqué une vingtaine de métiers dont berger, il est le fils d’un père génocidé… il a du mal à trouver sa place. Alors il écume 50 ans de cinéma dans les ciné-clubs parisiens : la culture le sauve, la culture redonne du sens à sa vie. Il s’occupe aussi des enfants que la Shoah a laissés orphelins et, à 19 ans, devient moniteur au sein de l’A.C.C.E. (issue de l’Union d’Entraide des Juifs). C’est dans ce cadre qu’il va au théâtre pour la toute première fois : en 1945, Gaby assiste à une représentation des Frères Karamazov mis en scène par André Barsacq au théâtre de l’Atelier. Maria Casarès, Hélène Constant, Michel Auclair, Jacques Dufilho…Il y voit « du vivant devant du vivant ».
Les colons dont il s‘occupe en tant qu’animateur étaient des enfants rescapés, des orphelins qui sortaient de 5 ans de traumatisme entre dénonciations et actes héroïques des Justes. Les animateurs comme Gaby étaient pour eux un souffle inespéré. C’est ce dont les présents ont témoigné le jour de l’hommage au siège de l’association : Il a créé une bibliothèque dans ces colonies de vacances, il a monté des pièces avec les enfants. Le jeune Gaby a compris que, comme dans son propre cas, la culture était une passerelle vers la renaissance. « Les enfants rescapés de l’enfer devenaient enfants de la Rue de Paradis. » comme il l’explique dans la préface du livre de souvenirs de l’association (Des larmes aux rires).
Animateurs et enfants partageaient les même souffrances, Gaby a travaillé pour que tous aient un lendemain, pour redonner un sens à leur existence. La culture comme porte de sortie. C’est ainsi que par la suite, Gaby se saisit de la parole vivante du théâtre pour lui et pour autrui : avec l’aide de Jack Ralite, il crée le festival d’Aubervilliers pour les prolétaires. Sa première pièce est un Strinberg, il met la barre haut, refuse la culture au rabais pour les classes laborieuses. Des gamins de 15 ans et des ouvriers découvrent donc le dramaturge suédois dans un gymnase d’Aubervilliers. Gabriel y amène les collectivités locales, les écoles. C’est dans la dynamique de ce festival et en s’inscrivant dans la lignée de Piscator (communiste créateur du théâtre prolétarien), que Gaby fonde le Théâtre de la Commune. Bien sûr, certains spectateurs se déplacent depuis Paris, mais le public est essentiellement local. Comment ? Dans le sillage de son festival, Gabriel a fait jouer acteurs professionnels et amateurs ensemble, et ce sont ces derniers, les personnes du cru d’Aubervilliers, qui ont fait venir leurs familles pour les voir sur scène : petit à petit, les travailleurs viennent au théâtre après leur journée de labeur. Le théâtre de Gaby devient un véritable lieu populaire, il y fait un travail de terrain tout en maintenant un répertoire exigeant. Le théâtre d’Aubervilliers était une vielle salle, il y avait autrefois des combats de boxe, il sera refait à l’initiative de Gabriel avec le soutien sans faille de Jack Ralite. Ralite et Gaby étaient comme deux frères, la culture était pour eux un véritable projet, ce n’était pas de la sous culture. Richard Demarcy faisait partie de l’aventure. On imagine aisément les discussions enflammées sur la nécessité du théâtre populaire…
Gabriel a été le seul metteur en scène à avoir confié un rôle tragique à Pierre Dac dans une pièce de Peter Weiss. Pierre Dac, combattant, fut forcément concerné par la mise en scène de Gaby.
Gabriel Garran a été un des plus grands passeurs de la culture parmi les jeunes et les classes populaires. Son parcours est impressionnant. Il avait un niveau culturel exemplaire et n’était presque pas allé à l’école. Il était autodidacte complet et a su donner des clefs inestimables aux enfants de l’ACCE et à la jeunesse des milieux défavorisés.
Gaby était très drôle et il avait une mémoire d’éléphant. Et toujours une lumière espiègle dans les yeux. « Un petit bonhomme auquel nous devons beaucoup », disait Véra Belmont, 90 ans, en novembre 2022.
Il n’a jamais, absolument jamais lâché. Un grand petit bonhomme qu’on ne pouvait qu’aimer. C’était une journée parfaite pour honorer sa mémoire : Gaby fait partie du patrimoine, il était l’incarnation de l’humanisme et de la culture en train de se faire. La culture pour tous comme étendard qui n’est pas resté lettre morte. La vie de Gaby. Et notre gratitude.
Le 29 octobre 2022, un hommage officiel lui sera rendu au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers.
A lire : * Géographie française, Un enfant sous l’occupation, Gabriel Garran (Flammarion)
Gabriel a toujours écrit des poèmes et en a publié jusqu’au bout sur son compte Facebook. Six recueils furent publiés dont trois chez Michel Archimbaud. Le sol de son appartement de la Rue Saint-Martin en était jonché. Son ami Jean-Jacques les a confiés aux archives de la Bibliothèque nationale de France.
Exposition à l’Hôtel La Louisiane à partir du 9 juin. Vernissage le 8 juin, écrire à charlotte@hotellalouisiane.com Avis aux Hydropathes, aux lettristes, aux incohérents… Aux fous Aux innocents !
J’ai récemment contribué à la passionnante revue d’exploration politique Res Civica pour les Editions EEEOYS. Le premier article traitait de Féminité et politique, le deuxième, de Travail et politique.
Tapez « femmes politiques françaises » sur Internet, on vous proposera en deuxième onglet un article intitulé « les plus belles femmes politiques françaises », puis une entrée sur leur couple. « Hommes politiques français » s’ouvre sur une liste, puis sur l’entrée « les grands hommes ». Le ton est donné.
Pourtant la plupart des femmes investies en politique préfèrent l’articulation à la représentation, et puisque action fait politique, force est de constater qu’elles sont efficacement présentes en politique. C’est ce que j’ai voulu montrer dans mon article.
J’ai également choisi l’angle du féminin pour traiter du deuxième sujet proposé, Politique et travail, ce dernier terme étant lourdement associé à notre « nature ». Il existe cependant une autre étymologie que celle communément acceptée du mot « travail », une qui ne le cantonne pas à la souffrance. C’est sur cette proposition que j’ai basé ma réflexion…