L’automne est pour moi la saison des naissances, mes trois enfants y sont venus au monde. L’automne, je plussoie.
L’ensoleillement diminue ? Je fais des étoiles de mère, je ne me mets pas en pause, je surenchéris. Mon grand en a visiblement pris de la graine, qui m’a faite grand-mère pour Samain. C’est notre façon de nous préparer à l’hiver.
Je ne suis pas à feuilles caduques, je suis une arbre à oiseaux et à enfants, les miens et ceux des autres. Ce sont mes seules provisions pour la saison froide. Les mauvaises langues me soupçonneront champignon qui s’ignore, puisque c’est leur période de fructification…peu importe, à l’automne, je récolte. Je ne connais ni lettres ni feuilles mortes, l’automne reste corne d’abondance. Fille de rituel, je vois en cette saison une essence alchimiste. Et ma première petite fille ne me contredira pas, qui a choisi l’équinoxe du Peuplier Blanc pour pointer le bout de son nez métis. La force de la transformation et du perpétuel renouvellement de la vie s’est inscrite cette année encore, et j’en suis reconnaissante. C’est pourquoi je veux ici célébrer le sein des mères, la mienne et celles qui l’ont précédée. Et leur perte. Comme un rituel d’automne.

LA CHAIR ET LE LAIT
Anne Vassivière
Ronds, chauds, doubles, naissants boutons de rose pâleur,
Pointes des premiers émois anecdotiques encore,
Puis poussant tenus hauts serrés galbés de larges croisillons,
Affolants le flottant de la robe ou le maillot moulant,
Convoités, envisagés, regardés, troublants débutants.
Fiers étendards de chair brûlante débordant la main du père et des amants,
Ballotés aux coups de reins marins des amours,
Silhouette sûre et certaine.
Ronds, chauds, doubles, gonflés pour la couvée humaine,
Trois goulues les font sève vivante à téter et s’y endormir accrochées,
Partageant avec un petit impromptu un petit prématuré,
Mère et père virent un matin débarquer du camp les hommes pour remercier
Les ronds, chauds et doubles
D’avoir nourri le bébé Manouche, de l’avoir fait frère de lait.
Fiers étendards de chair brûlante débordant la main du père et des amants,
Ballotés aux coups de reins marins des amours,
Silhouette sûre et mûre.
Aujourd’hui les hémisphères ne sont plus jumeaux,
Arrachés l’un à l’autre pour tromper le tombeau.
L’un orphelin de l’autre, et moi, de la prime innocence en véritable adieu,
Giron changé en vulgaire sphère à amputer,
Sang, graisses, canaux viciés de maladie, manne maintenant menace absolue,
Ablation.
Mon enfance jetée aux ordures de l’hôpital avec son Graal nourricier, sous le sein gauche parti aux déchets, le cœur demeure qui bat plus dru, plus serré.
Je suis devenue adulte le jour où le sein de ma mère a rencontré le baiser du scalpel qui l’a sauvée du cancer. Quand le corps qui m’a donné la vie saura l’ultime étreinte du néant, j’embrasserai la naissance de ma propre nuit.
