En préparant la sortie de mon prochain ouvrage à La Musardine, j’ai retrouvé la présentation* que mon éditrice avait faite de mon roman Parties Communes, et je me suis demandé pourquoi j’aimais tant écrire le corps amoureux.
Écrire Éros, c’est rencontrer l’autre et se rencontrer soi-même. Il ne s’agit pas d’une posture de développement personnel à la petite semaine mais d’une mise en vertige de soi et d’autrui. Une façon de grandir avec l’autre. Cela n’a rien de mièvre ni de tiède. Ça fuse, ça flambe, ça rit, ça crie. Écrire la relation charnelle me relie à mes semblables à travers les âges, les continents et les genres. Le corps vibre dans la chair du mot et, même écrit, même désincarné, demeure le lieu de toutes les rencontres. Ce qui s’exprime dans les relations amoureuses ou simplement charnelles nous dépasse pour le meilleur et pour le pire. Tant d’espoirs s’y cristallisent, heureux ou meurtris. Tant de grands bonheurs et de grands malentendus. Tant d’honnêteté qu’on le veuille ou non, tant d’abandon. La sexualité est zone de pouvoir potentiel et donc, de responsabilité.
La relation charnelle, lieu à vif par définition, nécessite de mettre le feu aux mots quand on en parle. Le corps sexué est certes notre dénominateur commun, cependant il requiert une palette infinie pour naitre sur une page. Un éventail aussi riche que l’expérience humaine, aussi varié que la diversité des corps et des désirs. Des plaisirs aussi. Beau défi pour qui aime écrire.
Pour moi, écrire Éros, c’est participer à la circulation du désir et du plaisir. Ne sont-ils pas comme le sang, une énergie vitale, qu’on les assouvisse concrètement ou pas ? Je refuse de réduire la relation charnelle à une récompense du héros ou à l’espoir d’une princesse. Et je ne m’attache pas à juger les personnes sexuellement libres. Écrire Éros, c’est se concentrer sur la pulsation vitale des êtres et des mots. Mettre le nez dans les cheveux des personnages, regarder leurs yeux se perdre en tendresse ou en furie amoureuse, écouter leur ventre tour à tour crier et ronronner, sentir leur souffle s’amplifier ou se resserrer, compter les battements de leurs artères, devenir complice de l’organique. Personne ne pulse comme sa voisine, comme son voisin. C’est pourquoi parler du corps demande une certaine souplesse du verbe, il faut être prête à aller dénicher et déformer les mots. Car l’émoi est à la fois brouillon et impératif, alors, impossible de s’arcbouter sur la correction grammaticale ou lexicale. Dans mon roman choral Parties Communes, les noms deviennent verbes et vice versa, certains adverbes ont des velléités impropres à la grammaire, cela permet de rester au plus près du grand chamboulement du corps. Le désir est toujours au présent impératif, il se gausse de toute correction, le désir est mal élevé. Si la bouche se déforme dans l’extase, le mot doit se difformer aussi. Un corps honnête ne s’exprimera jamais en suivant des règles grammaticales car les choses complexes dépassent la bienséance ET la grammaire.
Pour toucher quelqu’un avec une histoire charnelle, il faut s’adresser aux neurones de son ventre sans fausse pudeur. Et surtout en tordant le cou aux hontes qu’on nous a inculquées si fort depuis nos enfances de petites filles et de petits garçons. Et sans jugement. Cet aspect de nos vies, l’aspect charnel, nous permet de considérer notre relation à nous-même et à autrui, c’est en cela qu’il est précieux. Une façon de mettre les cartes sur la table. De voir ce qui se passe et ce qui se joue afin de reprendre chacun et chacune notre liberté. Car aucun genre n’est exempt de conditionnements, et le plus conditionné des deux n’est peut-être pas celui qu’on croit. Dans un monde qui nous gave de consommation et de mental, qui en fait une prison bloquant les corps et les cœurs, je milite en écrivant la chair : pour la naïveté du cœur et pour l’instinct du corps. Et vice versa. Pour le profondément humain. Car si je m’accepte dans mes désirs et plaisirs, si je m’accepte telle que je suis, alors je suis hors d’atteinte des jugements nés du pouvoir. Et je suis dans la bienveillance pour moi-même et pour autrui.

Depuis Parties Communes, j’ai participé à trois ouvrages collectifs de nouvelles pour La Musardine et c’est toujours un grand plaisir de prendre place parmi mes consœurs autrices, de découvrir leur univers. Le dernier en date s’intitule INDECENTES, et Octavie Delvaux en est l’éditrice. Treize autrices, treize histoires qui racontent le corps, explorent le désir, regardent le plaisir dans les yeux, célèbrent la vie. Chacune son parcours, chacune son registre, mais une même exigence littéraire qui fait la qualité de l’ouvrage. Treize femmes ont pris le chemin du corps pour trouver l’équilibre parfait entre l’instinct et l’intellect féminin. Les temps ont changé, les autrices accompagnent la révolution qui s’opère dans notre société, elles écrivent librement désir et plaisir. C’est en cela qu’elles se disent « indécentes » : elles ne respectent pas les convenances puisque ces dernières se résument encore trop souvent à des clichés phallocentrés.
Comme l’explique Octavie Delvaux dans l’avant-propos de l’ouvrage, « La littérature est par essence un domaine de grande liberté et les femmes n’ont pas attendu Me too pour s’en saisir. »
Et de conclure : « La littérature doit-elle refléter les évolutions de la société ou au contraire s’y soustraire pour conserver sa poésie ? À titre personnel, j’ai toujours pensé que c’était la totale liberté de ton, la possibilité d’aller toucher aux tabous les plus profonds pour en faire éclore la beauté crue, qui constituent l’attrait de la littérature érotique. »
Le corps est une clef puissante, troublons-le et, comme le marc de café, il nous parlera en vérité. Voilà pourquoi, parmi d’autres sujets, j’aime écrire Éros. Il dit tant de nous.
Et voilà pourquoi j’ai aimé faire partie de cette aventure d’ouvrage collectif. Il a la richesse d’une joyeuse polyphonie et je vous mets au défi de ne pas y trouver plusieurs histoires qui vous ravissent. Lire Indécentes ce n’est pas juste se nourrir, c’est passer du côté des gourmets. Vous ne le regretterez pas !
*« Attention, Anne Vassivière possède une puissance du verbe érotique rare ! Libre et désinhibée, elle nous conte les aventures sexuelles de ses personnages avec des mots forts, obscènes, poétiques, qui mettent le feu aux joues dès les premières pages. Les ébats y sont charnels, emportés, indécents, mais toujours vrais. Ouvrir ce livre, c’est mettre le doigt dans le pot de confiture et s’en régaler jusqu’à la dernière goutte, avec un petit arrière-goût de culpabilité d’avoir poussé le vice aussi loin. De surcroit, par son procédé narratif qui donne voix aux deux partenaires d’une même aventure, l’auteure touche aussi du doigt l’incompréhension, l’incapacité du dialogue qui prévaut parfois dans le couple. Et surtout elle introduit une ironie jouissive qui ne vous épargnera pas quelques grands éclats de rire. »
Présentation de Parties Communes, éditions La Musardine.