La terre natale ne cesse de m’enfanter

J’ai longtemps été ingrate envers ma terre natale. L’enfance jaillit et sautille, elle est étrangère au sur place, c’est son trait caractéristique et salutaire.

Au sein du pays qui nous a vu naître, on se sent souvent à l’étroit. L’adolescent étouffe partout et presque tout le temps ; le corps a poussé trop vite ou pas assez, l’esprit suffoque où qu’il regarde hormis ailleurs, le grand le beau le définitif ailleurs. On s’abreuve de Baudelaire matin midi et nuit, ce qui n’arrange rien. On a le sens de la justice suraigu. Je rectifie : on a le sens de l’injustice suraigu. On ne connait que deux vitesses : surexalté ou surdéprimé. C’est insupportable. D’ailleurs, on ne se supporte guère. Nos parents ne comprennent rien, notre vie est nulle et les gens n’ont pas l’air de s’en apercevoir, on est seuls au monde avec notre poète ou notre chanteuse préférée. Pendant les années collèges, on rêve du lycée. Arrivés au lycée, on s’ennuie tout autant. Fille, garçon et toutes les nuances entre s’exaltent et se découragent différemment mais avec belle ardeur. Rien n’est assez et tout est trop. On déplace des montagnes et la seconde d’après nous aspire dans des gouffres abyssaux. Heureusement qu’il y a la poésie, la musique, le dessin, l’écriture. Le sport, pour certains. Sans cela, la plupart des jeunes personnes n’arriveraient jamais à l’âge adulte.

Notre environnement immédiat est petit, commun, étriqué de banalité. On ne connait que lui sans le connaitre. En vérité c’est lui qui nous sait. Il attend que l’on parte ailleurs voir si on y est, puis qu’on revienne pour enfin le regarder dans les yeux. Ma terre natale a été patiente avec moi qui lui reprochais de n’être ni Londres ni Paris, encore moins New-York. Alors je suis partie à Paris, Londres, New-York. Et je suis revenue de l’ailleurs meilleur.

C’est à ce moment-là que j’ai compris où j’avais grandi et que j’ai pu me retourner sur moi-même pour continuer ma croissance : ma tête a enfin touché ses racines. Et a été touchée. Ce sont des racines de terre noire et d’eau vivante. Des racines d’herbes en cratères et ruines de forts châteaux. Des racines de pierre de lave cathédrale jusque dans la moindre grange. De peaux tannées de labeur au vent et de longs cils de vaches rousses. Aujourd’hui, ma tête mon cœur mon âme touchent mes pieds de lave, je suis enceinte de ma terre et elle me porte continuellement. La boucle bouclée tourne désormais sans faire de sur place, et la terre natale ne cesse de m’enfanter.

Ces éternels allers, ces éternels retours m’ont inspiré un roman dont je vous livrerai les premiers chapitres deux fois par semaine, comme un feuilleton de l’été.

Fronton de la Basilique Marie-Madeleine, Vézelay

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