Sainte Fente

Il est dans le massif de la Sainte-Baume, un sanctuaire appelé grotte de Marie-Madeleine. La sainte y aurait vécu en ermite pendant les 30 dernières années de sa vie au 1er siècle de notre ère après avoir évangélisé la Provence.
La présence de moines y est attestée depuis le Vème siècle et la grotte n’a cessé d’être un haut lieu de la Chrétienté depuis. Papes, reines, rois et princes s’y sont rendus, Saint-Louis, Louis XI, François 1er, Catherine de Médicis, Charles IX, Henri III de France, Henri de Navarre, Charles IV, Louis XIV, Anne d’Autriche, Mazarin…

Révolution et Empire ont menacé le site, les Dominicains s’y sont réinstallés au XIXème siècle et on peut aujourd’hui séjourner dans leur hôtellerie au pied du massif. La grotte est la propriété de la commune voisine, moines et moniales prennent soin des lieux et des offices.

Celles et ceux qui ont fait l’ascension dans la fraicheur ombragée du chemin en trouvant les traces de sangliers particulièrement charmantes savent que la rudesse des derniers mètres de la montée nous force à cesser les bavardages, qu’elle nous prépare à l’inattendue. L’arrivée à la grotte elle-même se charge ensuite de calmer tout instinct réduisant les forces de la nature au bucolique. L’immense cavité taillée dans la roche nous tait pour de bon dans son évidence minérale ancestrale. On ne peut rester superficiel dans la matrice, elle nous remet à notre place dans la seconde où on passe sa porte : devenus ce que l’on est d’immensément minuscule, on n’y panique plus du silence. La pierre nue, l’humidité ambiante et l’évidence d’être dans des entrailles alors que l’on vient de grimper un massif, bouleverse et rassure. L’eau jaillissant de la source à laquelle on s’abreuve, la petite retenue qui clapote et le ruissellement des murs disent la vie, on comprend avec le ventre ce que les Dominicains en charge du lieu ont coutume de dire : « Marie-Madeleine n’est peut-être jamais venue ici, mais elle y est ».

Bien sûr, ce n’est pas tout. Le lieu abrite une autre cavité, plus profonde, plus humide, plus suintante, plus sombre, aux courbes noires et sans lumière aucune, le vrai ventre de la terre, la vraie matrice, celle où se côtoient vie et mort en terribles jumelles. Certains visiteurs ne voient pas l’accès de cette partie basse de la grotte principale, d’autres descendent les marches trempées qui y mènent et s’empressent de remonter, n’y trainent pas, en balayent l’implacable noirceur des yeux et, leur corps comprenant dans l’instant de quoi il retourne, remontent bien vite à la grotte principale qui les bercera de leur soudaine frayeur.
Dans cette ultime cavité, le fond se perd dans un noir oppressant, on étouffe visuellement, les poumons sont oppressés, le corps ne sait pas où trouver la ressource nécessaire pour demeurer là, même un peu. Car oui, cette cavité profonde remplie d’épouvante, c’est celle de la mort. Pas la mort philosophique. Dans cette fente-là, aucune négociation n’est possible, la mort ne bavarde pas. Ici, le symbolique meurt instantanément, il suffoque, il s’étouffe, il est renvoyé à la rhétorique, il brûle d’effroi. Car maintenant que les yeux se sont accoutumés aux ténèbres, ce que l’on distingue dans la pénombre, c’est une myriade de petites plaques qui pleurent au mur avec les suintements de la source : ce sont des prénoms d’enfants morts-nés.
Depuis 2015 seulement, l’Église a consacré un endroit du sanctuaire de la Sainte-Baume où confier les non-nés.

On ne ressort pas touriste de la grotte de Marie-Madeleine.

Bien sûr, ce n’est pas tout, c’est loin d’être tout. Il est une autre cavité dans le massif boisé. Une grotte naturelle et secrète sur son flanc droit, La grotte aux œufs, qui atteste que la montagne de la Sainte-Baume est sacrée depuis l’époque préchrétienne, qu’elle est de tout temps liée au culte de la fécondité, de la maternité, de la féminité.
Les femmes ayant accouché d’un enfant mort-né viennent enterrer la petite dépouille au-dessus de cette grotte discrète, d’autres en trouvent l’entrée pour y déposer des vœux de maternité en forme d’œufs. De Palestine à la Sainte-Baume en passant par les Saintes-Maries-de-le Mer, la bien-aimée du Cantique des Cantiques, l’apôtre des apôtres vielle sur toutes celles-là, les femmes, les mères, les non-nées, les à-naître.

Avec ou sans enfant, toutes les fentes sont sacrées.

© Anne Vassivière, 2020

Version Audio par la Liseuse Chantal Bidet

Aux amoureux de la ponctuation

Aux amoureux de la ponctuation, celle qui lie, relie et délie sans chaînes.

Il est des familles de plumes d’oiseaux, plus que de sang. Qu’ils écrivent ou pas, ce sont des membres choisis et non subis. Des êtres qui, « Sur la Seine, entre mouettes et loups, refuge des passants mélancoliques & aquatiques », ne connaissent ni frontière de règnes, de temps ou d’éléments. Ils sont horde, banc, bande, bouquet sauvage de drôles d’oiseaux en feuilles d’étoiles et poussières d’eau. Certains ont un penchant gracieux pour le point-virgule et l’esperluette, tous sont eux-mêmes traits d’union :

Haut les plumes, drôles d’oiseaux !

Celle-ci se consacre aux personnes qui ont perdu le lien avec elles-mêmes, elle ouvre son généreux logis, les oiseaux de ses oiseaux sont ses oiseaux.
Celui-là excelle aux amitiés qui se jouent du temps et en fait des châteaux de cartes solides comme des nuages de poètes.
Celui-ci fait d’une chambre photographique une arme de cohésion massive.
Celui-là encore, veille de nuit comme de jour sur les âmes d’ici et d’ailleurs, vigie, gardien, phare de chair.

*Toute ressemblance avec Anne-Laure Buffet, Éric Poindron, Antoine du Payrat et Julien Cendres n’est pas fantôme ; ils sont traits d’union de lumière blanche, noire ou multicolore ; et le reste est marginalia.

**Pour la bonne, la très bonne bouche, quelques heureux spécimens de ponctuation tirés, comme la citation ci-dessus, du Fou et la licorne (Editions Germes de barbarie) et du Voyageur inachevé (Castor Astral), deux bonheurs d’Éric Poindron :

« L’esperluette est ma complice & la feuille aldine ma coquetterie. »

« Je marche à cloche-souvenir dans les chemins
De pommes sauvages & des ravines
Les fils d’équilibre n’engagent que les songes »

« Nuage à-demi,
Et un peu ailée, aussi. »

« Ai-je écrit mes livres ? Je ne sais ; ou à peine. Je les ai vus avant ; je les ai lus, peut-être. »

Portrait de sarments entrelacés
ou
Esperluette humaine

« Cartes post-ailes »
« Âme-L’or »
« Pas-à-pas d’heure »

***Et quelques destinations envolées des mêmes ouvrages :

« Culmont-Chalindrey »
« Nancy-l’Enfance »
« Romorantin-les Charmes »
« Écho-les-Chartrons »
« Boizy-le-Carnaval »
« Moulins-les-Souvenirs »
« Brume-la-Ville »
« Metz-aux-Lointains »
« Saint-Louis-des-Inconnus »
« Humeur-les-Comètes »

Photographie Laurent Méliz (c) 2021
Cabaret du Néant avec Eric Poindron, Cali, Dominique Tourte,
Julien Cendres et Anne Vassivière

Tableau Anne Vassivière (c) 2021

Peinture et écriture

sur la photo : Flore Cherry, Anne Vassivière, Aurélie Galois

Miniatures de la peintre Aurélie Galois
à la mythique librairie Un regard Moderne,
10 rue Gît- le-Cœur, 75006 Paris
Jusqu’au 05 juin 2021

La miniature est l’écrin parfait pour les plaisirs parfois crus de l’amour.

Quand Aurélie Galois m’a demandé d’écrire un texte pour ses miniatures érotiques, je ne la connaissais pas.
Elle souhaitait éditer un ouvrage pour accompagner ses dernières huiles, images licencieuses cachées dans de petits poudriers, jolies boîtes ou fins étuis à cigarettes.
L’ouvrage s’intitulerait Bijoux indiscrets.
La référence au roman libertin que Diderot publiait anonymement en 1748 était alléchante. Pourtant, c’est le regard de la peintre qui me décida à accepter. Un regard frappant, fort et doux tout à la fois.
Et puis j’ai rencontré son travail. Je dis « rencontré » parce qu’elle excelle au portrait, et que ses portraits sont puissants. Ils ne s’arrêtent pas à la représentation, ce sont eux qui nous regardent.

La première fois qu’elle m’a ouvert les portes de son travail, c’était dans l’intimité de l’appartement qu’elle quittait pour d’autres cieux. J’y étais accompagnée par mon grand ami Alain Teulié, romancier et auteur de théâtre, esthète parmi les esthètes. Je ne pouvais rêver meilleure compagnie pour cette découverte.
L’espace était vaste, blanc et nu, les toiles y régnaient sans partage sur d’immenses murs immaculés. Elles prenaient tout l’espace, nous ne pouvions échapper à leur force. Les couleurs à l’huile se mariaient à la feuille d’or, tout baignait dans la majestueuse lumière des quais de Seine, Alain et moi étions frappés.

Quand un portrait d’Aurélie Galois me regarde, je ne peux me retrancher, je contemple toutes les contradictions de mon humanité et je n’en ai plus honte.
Cela fait écho à mon propre travail d’écriture.
J’aime ses pudeurs et ses impudeurs.
Je suis conquise.

HAMLET OU LA RECHERCHE DU PATIENT ZÉRO

Crédit photo : Anne Vassivière.

Une autopsie d’un fantôme mise en scène de l’autre coté du masque
3 chantiers de rencontres et d’explorations théâtrales transdisciplinaires ouverts à tous dans le cadre du Laboratoire Européen ADN d’Art Dramatique Nomade sous la direction de

Lo Schuh

Dates :
Du 26 au 30 avril 2021
Du 17 au 21 mai 2021
Du 14 au 18 juin 2021

Horaires :
De 10h à 18h

Lieu :
Institut Polonais de Paris / 31 rue Goujon 75008 Paris
Participation aux frais : 50 euros par chantier
Nombre de participants limité à 15 personnes par chantier

Ouvert aux acteurs, danseurs, plasticiens, circassiens, vidéastes, créateurs sonores, étudiants, chercheurs, professionnels et amateurs.

Infos et conditions : 06 60 88 53 05 / labeuropadn@gmail.com

Crédit photo : Anne Vassivière