La rue qui n’a jamais cessé d’exister

Hier, la rue Vilin a été ressuscitée là où elle serpentait jadis dans ce qui est maintenant le parc de Belleville. Robert Bober, 93 ans, était bien sûr présent. L’esprit de George Perec aussi, de nombreux Oulipiens assistaient à l’inauguration du parcours photographique suivant le tracé de la fameuse rue où Perec passa ses 6 premières années. Fils d’immigrés juifs polonais, Perec est né rue de l’atlas, tout à côté, et une grande partie de sa famille résidait rue Vilin. Sa mère y tint un salon de coiffure avant de devoir confier le petit Georges pour le sauver de la déportation. Elle mourra à Auschwitz. L’immeuble de sa boutique, au 24 rue Vilin, sera démoli le surlendemain du décès de Perec en 1982.

En 1969, Perec entame un projet mémoriel, Lieux, pour lequel il choisit 12 sites parisiens importants dans sa vie. Un projet photographique et Oulipien. C’est ainsi qu’il reviendra de nombreuses fois rue Vilin entre 69 et 75. Lorsqu’il découvre Réfugié provenant d’Allemagne, apatride d’origine polonaise, Perec se lie d’amitié avec Robert Bober, ensemble, ils tournent un film sur Ellis Island. Récits d’immigrés. Recherche de l’identité toujours. Images de Bober, commentaire de Perec. Le film sort en 1980.

Mais que croisait-on donc rue Vilin, que cette exposition permanente nous fait découvrir?

Un magasin de couleurs, une bonneterie, un marchand de vins descendu de sa montagne sans doute auvergnate, des bars, un tailleur, une librairie-papeterie, un hôtel, un restaurant, deux salons de coiffure, une teinturerie, une boutonièriste, une laitière. Et madame Rayda, cartomancienne que l’on peut, depuis hier, voir à sa fenêtre, photographiée en 1947 par René Giton dit René-Jacques.

Un parcours de photographies donc, accompagné de textes et citations pour faire revivre cette rue emblématique et populaire du vieux Paris. Des clichés de Robert Bober, Willy Ronis, Roger Varga, Robert Doisneau…

En remontant la rue Vilin est une entreprise mémorielle qui remet art et histoire dans l’espace public. Sa réalisation est à saluer, les services techniques des espaces verts de la ville ont fait un très beau travail d’intégration des panneaux dont la forme m’a évoqué celle d’une feuille. En douceur et délicatesse. En harmonie.

La rue disparue est presque ressuscitée. Détruite, oui, fantôme, oui, mais au moins cet espace n’aura pas été laissé en pâture aux promoteurs immobiliers. Elle demeure un espace à partager à l’image du quartier de Belleville, carrefour de tous les métissages comme le rappelle Eric Pliez, maire du 20ème. Nous étions nombreux hier, amis de l’association Georges Perec, mais aussi habitants et habitantes du quartier, élues attachées à de la vie locale comme Raphaëlle Primet, Annie Gafforelli, Anne Baudonne et Laurence Patrice qui œuvre inlassablement à la mémoire.

 » La photographie est un défi à la disparition « , nous dit Robert Bober. Ce n’est pas l’ami Alain Ernoult qui le démentira.

Un commentaire

  1. Avatar de gmrvc gmrvc dit :

    Magnifique ! Espoir de vie dans ce mémoriel de ce que peut être une ville de ce que devrait être nos villes ! « au repos de la Montagne » c’est aussi ces enfants qui jouent de la manière la plus simple, dans la rue, comme nous le faisions aussi dans nos campagnes. L’enfant libre de jouer dans la rue d’une ville, sur la place d’un Village …. Peut-être la photo qui me touche le plus dans cette petite sélection, car elle porte la vie. Et puis aussi celle de Madame Rayda à sa fenêtre, elle ne dissimulait pas son métier moins affiché à vue aujourd’hui, et pourtant …. Elle en avait déjà une belle maitrise dans la palette proposée. Une trace d’humanité dans cette exposition renforcée par ton très beau texte.

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