LES GROS MOTS (nourrir, manger et ne pas dire)

Nostalgie des BN dont les miettes et le chocolat étalés tout autour de la petite bouche ravissaient la famille, celle d’antan qui ne savait pas dire les trois mots magiques, les trois « gros mots », les TRES gros mots que le partage de nourriture remplace. 

Tomates farcies, cardes à la sauce blanche et œufs durs, quiche traditionnelle, puis au brocoli, aux fruits de mer, petit salé jadis, tarte à la tomate, paella, piperade, ratatouille, artichauts, frites maison, poulets fermiers rôtis (mettre les mains à l’intérieur du poulet tiède pour le vider avec la grand-mère adorée. Comprendre la tendresse et le plaisir dont parle à l’époque une chirurgienne très médiatisée qui expliquait son plaisir à mettre les mains dans le corps des patients), la bataille pour avoir une cuisse, le cou, le croupion, sanglier de Noël, coq au vin, poule au pot, chou farci, lapin à la moutarde, foie de veau, pommes de terre mijotées au four toute la matinée, crabes à décortiquer, araignées de mer, cuisses de grenouilles du coin avant qu’on ne les importe de Chine, truites pêchées avec mon oncle, leurs bonnes joues, même une longue période nems maison (ma mère a-t-elle, comme moi, eu un bel amant vietnamien ?), surtout pas d’endives au jambon, soupes de tout acabit, épinards, biscottes tartinées et coupées en quatre par la grand-mère adorée «  une pour maman, une pour papa, une pour Claire, une pour Dadette, une pour Mirabelle, une pour moi, une pour toi… », confitures maison, fraises, cassis et framboises, pommes, bocaux de cerises et haricots, tomates, courgettes, tous du jardin, même des nèfles à une époque, mûres des chemins, yaourts de la yaourtière, gargantuesques tartes aux fraises de la boulangerie de Cohade, oranges et citrons givrés, crêpes, flancs aux œufs, œufs à la neige, bugnes, meringues, millars ( vieux nom du clafoutis aux cerises avec noyaux), toutes sortes de bûches dont celle à la crème au beurre (ma mère m’en réserve encore chaque année un bol exclusif que je déguste à la petite cuillère jusqu’à écœurement), prunes mirabelles qui ont donné leur joli nom à ma chienne adorée… et puis trouver une excuse pour filer et ne pas débarrasser la table. Avoir une soudaine envie d’aller aux toilettes et, subrepticement, s’éclipser pour ne pas revenir. Chez mon arrière-grand-mère de 104 ans, Jeanne, tout visiteur était sommé d’accepter un biscuit en arrivant sous peine de passer pour un malotru. C’est ce qui se passe dans les familles aimantes qui ne savent pas dire les sentiments. Dans celle que j’ai le bonheur d’avoir fondée, on mange moins mais les mots d’amour sont vivants.

Aujourd’hui encore, la toute première chose que l’on fait en arrivant chez ma mère, c’est se couper un morceau de Saint-Nectaire et de bon pain quel que soit le moment de la journée. Elle va avoir 80 ans, mange moins, mais frigo, tiroirs et réserves sont pleins à craquer lorsque filles, petits-enfants et arrière-petite-fille arrivent. Mes enfants ont quasiment su où trouver gâteaux et gourmandises avant de parler, et c’est assurément le premier tiroir qu’ils ont réussi à ouvrir de leur vie !

Mais finalement, ce que les enfants réclament encore aujourd’hui et qui leur fait le plus plaisir, ce sont les nonottes au beurre, ces coquillettes sont leurs madeleines de Proust. Et le souvenir ému des carottes du jardin de feu l’arrière-grand-père. Des plats simplissimes à la place des trois grands gros mots que vous avez certainement devinés. J’ai moi-même longtemps été infirme à les prononcer. Ce sont, comme beaucoup d’autres belles choses, mes enfants qui m’ont appris à les formuler.

Aujourd’hui mes enfants sont végétariens ou végans, et alors ? Ils savent dire « Je t’aime ».

Un commentaire

  1. Avatar de gmrvc gmrvc dit :

    Suis sans mot .. sauf de dire « je vous aime » !

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