
Mon nounours trône encore dans ma chambre d’origine, nez et pattes reprisés par mes soins, c’est-à-dire avec entrain et maladresse. Des coutures visibles et pleines de bonne volonté, comme toute ma personne. Les yeux ont été remplacés par maints boutons, les derniers en date ne sont guère réussis, ils mériteraient une ultime opération. Je me promets de le faire à ma prochaine visite chez ma mère. Et puis, sur la patte du nounours, une trace tangible que je suis seule à connaitre, une tache de soupe. Chaque soir, j’apportais le diner préparé à l’étage par ma mère à ma grand-mère au rez-de-chaussée de la maison familiale. L’escalier était traître et dur, il l’est encore. Peut-être ai-je gouté un peu de soupe en chemin, je ne sais plus. Peut-être qu’elle était trop chaude et difficile à transporter. Ou en trop plein, en équilibre instable. En tout cas j’ai taché la patte du nounours et elle est encore visible aujourd’hui. J’aime aujourd’hui être la seule à le savoir.
L’enfant joyeuse et docile que j’étais, aimait à faire et défaire le corset de cette grand-mère. Ça sentait bon et c’était chaud comme le souffle qui soulevait le ventre chéri de ma chienne. À cet âge-là, celui passé à l’abri secret des mamelles animales et grand-maternelles, je n’avais d’autre ambition qu’un jour être chienne ou grand-mère. La première léchait les genoux blessés, l’autre les tartinait de mercurochrome.
Un matin elle était très triste parce que le président était mort la veille au soir. Je me demandais bien ce que nous allions devenir, maintenant que LE président était mort, alors, pour une fois, je mangeais mes biscottes en silence. La petite sœur ne se rendait pas compte que c’était grave. Je lui expliquais quand nous faisions notre toilette mais elle ne se rendait toujours pas compte. C’était normal, c’était juste une petite sœur.

Ma grand-mère n’est pas décédée chez nous, mais à l’heure où elle est morte, son horloge à balancier qui était arrêtée depuis un mois s’est mise à sonner dans la nuit. C’était à Noël 1978. Avant-hier. Les parents ont prétendu n’avoir rien entendu et déclaré que de toute façon la chose était impossible. Pourtant ma chienne et moi l’avons parfaitement entendue.
Je crois que c’est exactement le moment où je suis rentrée dans une espèce de double roue qu’on ne peut pas voir et qu’on appelle Temps et Mélancolie.
Quand je mourrai, ma chienne et ma grand-mère seront à l’ultime rendez-vous. Elles ne m’ont jamais quittée.

Quel bel hommage à ta grand mère et à ta chienne ! 🙏🙏🙏
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