L’homme qui plantait des amitiés sincères

Les tours d’immeubles menacent au loin dans la vallée de bêton mais L’Enfant ne le sait pas encore, pour le moment il est à l’abri de l’innocence offerte à la naissance, quelles qu’en soient les circonstances. Et de l’amour grand-maternel. L’insouciance durera une vie de papillon, le cœur de la grand-mère battra pour L’Enfant au-delà des 103 ans de sa vie terrestre. Aucune tombe ne sait ensevelir l’amour.

À cette époque, il est le « petit miraculé » de Madeleine Renaud, les crocs de son chien l’ayant attrapé pendant que Mémé lui donnait le biberon dans la grande maison qui l’emploie. Il n’en gardera aucune rancœur, aucune peur. En attestent les animaux dont il recueille aujourd’hui les plus meurtris dans son refuge sur la colline. Qui soulage le vétérinaire local des grands éclopés de l’ingratitude humaine. Pour l’heure, toiles et sculptures de maitres le regardent boire le chocolat chaud des « grandes dames » du jeudi pendant que Mémé fait le repassage de la maison Derain.

Le tout petit ne sait pas encore la rage des chiens humains qui le tourmenteront jusqu’aux jupes de l’institutrice. La maison de cette dame est toujours debout, ce matin-là, nous la saluons au passage. De quoi abreuve-t-on les jeunes têtes pour qu’elles aient à ce point peur de ne pas être conformes et préfèrent dévorer leurs semblables de brimades et d’insultes ? Symptôme de la seule maladie de leurs parents. Honte à eux.

Cet enfant-là n’apprendra jamais la méchanceté, même des meilleurs exemples jeunes ou adultes. Celui qui prendra en main son propre baptême en se choisissant un nom de renaissance est têtu comme une mule quand il s’agit de respect et de liberté. De fidélité aussi. Ces trois fées se sont penchées sur son berceau, il ne les trahira pas. Pour l’instant, il s’enfuit rêver au doux pays des ruines d’un autre temps de tout temps. Ses genoux attestent des embuches du chemin qui serpente au milieu des champs de poiriers. Pierres coupantes que la vie transformera un beau jour en caillou le plus noble. Le forgeron répare le vélo, le Mercurochrome, les petites plaies, L’Enfant pédale jusqu’au domaine qui l’adoubera comme sauveur dans un futur dont personne ne se doute… à part peut-être le tilleul multicaule du lieu symbolique qui ne se réduit pas au symbole. Chacun est à sa place, fait son office et répond à son destin. Pour l’instant, L’Enfant ne sait rien mais il sait tout ce qui importe, son bâton tapote le sol pour débusquer les pièges à loups censés dissuader les pilleurs : il obéit à l’amour de Mémé qui l’a mis en garde. Toute sa vie durant, l’amour sera la seule loi à laquelle il acceptera de se rendre.

Depuis Monsieur de Monville, le millefeuille du temps a collectionné années et aléas, il les dépose en couches visibles ou fantômes sur le domaine qui tutoie L’Enfant et la forêt de Marly. Le petit a grandi, il ne connait ni regret ni ressentiment d’être balloté par la marée des siècles. Jamais. Les étangs qui subsistent au grand jardin lui rappellent simplement que l’eau berce mieux que certaines mères. L’Enfant devenu Homme Heureux n’est jamais nostalgique : il n’en a pas besoin, il sait ses fondations et ce qu’il a lui-même bâti dessus. Les loups auront beau de tout temps hurler, il a la clef du Désert de Retz, il a la clef de sa vie.

À cette visite qui nourrit comme l’amitié véritable sait le faire. Et au-delà de nous, à Lucie, Monique, Marie, Jeanne, Emma, aux grands-mères qui nous apprennent l’amour contre vents et marées.

Le reste est à découvrir dans « Le désert de Retz, paysage choisi » de Chloé Radiguet et Julien Cendres (Éditions de l’éclat).

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