La tirade de la mort d’Ophélie m’a longtemps fascinée. Étudiante, je la lisais et la relisais dans le texte, tout à la fois cherchant à comprendre et espérant avoir mal compris.
Plus tard, je la peignais les pieds au bord de son précipice d’eau vivante de plumes et de fleurs, mon genre de profusion. Si elle était encore à sauver, je le serai aussi, et toutes les femmes avec moi.


Sur une deuxième toile, j’ai représenté le moment de son ultime bascule. En vérité, je n’ai su en faire qu’un plongeon de sirène dans un courant de paillettes, je n’ai pu me résoudre à en figurer la fin boueuse. Comme si je figeais sa chute pour ne pas tomber avec elle.
Et puis on m’a raconté une histoire de village, un drame d’injustice comme ces petites communautés cruelles savent si bien en concocter. Celle de la femme du gentil berger, que la calomnie a livrée aux flots de la rivière, la pauvrette n’ayant pu se laver de la méchanceté qu’en s’y noyant ainsi que ses deux petites.
Si le Barde laisse planer le doute sur la nature de la noyade d’Ophélie, ce ne fut pas le cas pour les sacrifiées du village. Aucun doute, pas de romantisme, rien de symbolique. Elles s’appelaient Alphonsine, Viviane et Véronique. C’était il y a 50 ans, c’était il y a mille ans. C’était aujourd’hui.
C’est à ce moment-là que j’ai compris Ophélie, la jeune femme qui paye la facture pour tous les autres.
Beaucoup payent encore, que l’on ne taxe plus d’hystérie ou de lunatisme, mais qui engraissent le funeste décompte des féminicides annuels. D’autres échappent à cette comptabilité, celles qui en finissent elles-mêmes.
Je viens de terminer l’écriture d’une histoire courte, banale et sans pudeur : une femme fait une rencontre amoureuse qui la mène à une rivière de rails. Il y a de multiples façons de se noyer.
J’ai déroulé le fil de cette histoire jusqu’à sa logique finale, j’ai enfin cessé de retenir Ophélie dans un halo de fleurs et autres plumes de fausse légèreté.
Nous sommes nombreuses à avoir fait une rencontre amoureuse qui aurait pu se terminer mal pour nous. Cela m’est arrivé aussi. J’ai eu la chance d’en réchapper.
Parfois on ne voit rien venir. Parfois on ne veut rien voir venir.
Ce récit s’intitule Anne, ma sœur Anne.
QUEEN GERTRUDE
There is a willow grows askant the brook
That shows his hoary leaves in the glassy stream.
Therewith fantastic garlands did she make
Of crow-flowers, nettles, daisies, and long purples,
That liberal shepherds give a grosser name,
But our cold maids do dead men’s fingers call them.
There on the pendent boughs her crownet weeds
Clamb’ring to hang, an envious sliver broke,
When down her weedy trophies and herself
Fell in the weeping brook. Her clothes spread wide,
And mermaid-like awhile they bore her up;
Which time she chanted snatches of old lauds,
As one incapable of her own distress,
Or like a creature native and endued
Unto that element. But long it could not be
Till that her garments, heavy with their drink,
Pull’d the poor wretch from her melodious lay
To muddy death.