Je viens de terminer l’écriture d’un roman intitulé Les saisons de Lili*. J’y déroule la vie d’une femme des années 60 à 2020 comme on regarde une pousse devenir arbre. Chaque saison de l’existence est un portrait, le tout s’offre pêlemêle.
Que fait-on de notre naissance ? Que fait-on de nos mues ? Que fait-on de notre mort ?

*Extrait
Les tétines de ma chienne, je les taquine et les tète. Elle me laisse faire. Ensuite je confie ma tête d’enfant à la chaleur souple de son ventre. Là, je m’endors pour la sieste obligatoire des parents. Mon lit est son territoire et elle m’autorise à y nicher. Sœur et mère animale, nous appartenons au même règne, celui des enthousiastes à mamelles. La vie que je passe dans ses flancs est donc tiède et tranquille. Enfantine du meilleur cru, ma plus grande question existentielle se résume à ce moment-là à savoir quelle partie de son corps est le plus doux. Le pelage de ses oreilles figure en bonne place. Soie. Puis vient le charnu jabot de son cou.
Elle sait se retenir de faire ses besoins pendant plusieurs jours s’il pleut, c’est une propre et délicate. Mais pas une maniérée. Elle a la tenue, la classe et la conscience des bâtards. Jamais je ne me suis permise de la pousser même un peu pour me faire de la place dans mon propre lit une fois qu’elle-même s’y était installée.
Je passe ainsi mon enfance à me mouler aux poses que le sommeil fait prendre à son corps chéri. Elle est à cette époque-là, mon ultime modèle féminin.
Son fantôme habite encore les boyaux de la maison parentale. Parfois je laisse s’ouvrir les précipices du passé pour sentir son souffle sur ma joue qui me dit que tout va bien. Yeux d’amande réhaussée d’ébène, saines canines aux brunes racines, babines souples et fraicheur humide de la truffe, que votre souvenir me cuit les tripes quand je vous invoque ! Dieu que vous me manquez !
L’enfant joyeuse et docile que je suis alors, aime à faire et défaire le corset de la grand-mère de la maisonnée. Ça sent bon et c’est chaud comme le souffle qui soulève le ventre de ma chienne. A cet âge-là, celui passé à l’abri secret des mamelles animales et grand-maternelles, je n’ai d’autre ambition qu’un jour être chienne ou grand-mère. La première lèche les genoux blessés, l’autre les tartine de mercurochrome.